Quelques semaines seulement après avoir remis ses lettres de créances au roi Harald, Mme Florence Robine, Ambassadrice de France en Norvège, nous a fait l’honneur de nous accueillir à la résidence de France pour un entretien plein de convivialité. Elle répond à nos questions sur la place du français en Norvège, et sur l’utilité de son parcours d’enseignante et de rectrice d’académie dans sa fonction actuelle.

Quelles sont vos premières impressions sur la Norvège, depuis votre nomination en tant qu’Ambassadrice de France à la fin de l’année 2022 ?

Comme beaucoup de Français, je suis venue avec l‘image d’une Norvège qui attire et qui intrigue, en
particulier par son mode de vie et ses paysages. Je dois dire que je n’ai pas été déçue ; c’est un pays qui frappe par sa beauté. J’ai été particulièrement surprise par la lumière incroyable qui existe ici ; toute la journée on voit la ville, le fjord et la nature baigner dans une lumière orangée remarquable et on comprend mieux la palette incroyable d’un artiste comme Edvard Munch, très populaire en France. C’est une lumière folle, je passe des heures à observer ce changement de lumière. Un autre point ; j’entends nombre de Norvégiens qui s’excusent presque de l’hiver, des jours plus courts ; mais je dois dire que j’apprécie beaucoup ces hivers norvégiens, comme je me réjouis de voir l’été avec ses journées très étendues. Je suis heureuse de trouver ici de véritables saisons ; ici, l’aube et le crépuscule durent extrêmement longtemps, c’est un spectacle incroyable, comme un temps suspendu durant lequel le jour commence à poindre et la nuit à disparaître. J’ai vécu en Amérique du Sud, dans un pays situé au bord de l’équateur, avec peu de variations tout au long de l’année et cela était, pour moi du moins, plus difficile à vivre.

Vous avez vous-même été professeure, et avez occupé plusieurs fonctions au sein de l’Éducation nationale ; pensez-vous que cela vous apporte quelque chose dans la fonction qui est la vôtre aujourd’hui ?

Je suis persuadée que cela m’apporte énormément de choses. Quand on est professeur, on est habitué chaque année à faire l’effort de redécouvrir des choses que l’on croit maîtriser depuis toujours. Chaque année un nouveau public, chaque année un auditoire à reconquérir, chaque année des élèves qui vous demandent à quoi sert ce que vous êtes en train de faire et quel peut être l’intérêt pour eux de le faire… Cette habitude de convaincre, d’aller vers les gens, j crois que c’est un élément fondamental de la diplomatie contemporaine. Mais c’est aussi une qualité essentielle : l’empathie, savoir comprendre la culture de la personne à laquelle vous parlez, la manière dont cette personne pense, ce qu’elle croit.

Ces éléments se retrouvent à la fois dans la diplomatie et dans le travail des professeurs. Ce sont des valeurs qui se rejoignent. Dans mon métier, on aime partager, on doit être ouvert d’esprit, ne pas avoir d’a priori. C’est en tout cas un idéal de comportement vers lequel on tend. Par ailleurs, très tôt, j’ai eu l’occasion de faire de nombreuses actions de coopération dans le domaine de l’éducation, de travailler auprès de la commission européenne et de l’UNESCO. J’étais membre du comité de rédaction de l’ODD 4 (Objectif de Développement Durable) et la déclaration d’intention soumise aux Nations Unies, dont le but est d’assurer à tous l’accès à une éducation de qualité. Cela a été un déclencheur très important dans ma volonté de travailler dans la diplomatie et de souligner le sentiment de responsabilité de la France, de ce qu’elle peut apporter et de la manière dont nous nous comportons. En même temps, mon passé scientifique fait que j’ai toujours été proche des acteurs de l’innovation, du quotidien. Les métiers de l’éducation nous mettent forcément en relation avec l’environnement immédiat : les élus, les
entreprises, les acteurs sociaux…c’est un métier carrefour et cela, je l’ai également trouvé dans la
diplomatie. Je garde en effet cette envie de “sortir de mon bureau”, de rencontrer les gens. Pour moi, la diplomatie est un métier de terrain.

En Norvège, le français reste une langue attractive, enseignée au niveau scolaire et prisée par de nombreux adultes. Avez-vous remarqué cette attractivité du français dans vos missions précédentes, dans d’autres pays ?

Oui, très clairement. La Bulgarie où j’ai été ambassadrice, par exemple, est membre de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Et ce pays montre combien les voies d’accès à la francophonie et à la francophilie peuvent être diverses. L’origine de l’adhésion de la Bulgarie à l’OIF est la visite du président de la République François Mitterrand dans le pays, quelques mois avant la chute du mur de Berlin. Le président de la République avait rencontré, en plus des autorités locales, des dissidents et
intellectuels bulgares – notamment les étudiants de l’Université de Sofia. Les paroles qu’il avait prononcées à cette occasion, qui avaient ouvert la porte à la démocratie, ont été très appréciées
localement ; et c’est en reconnaissance de cette visite présidentielle que la Bulgarie a décidé de rejoindre l’OIF dès la chute du mur. Cela en dit beaucoup, je crois, sur l’imaginaire qui accompagne le français à l’international. Le français est d’abord une langue inscrite dans une histoire : celle de notre pays, d’un ensemble de valeurs, les Lumières, la philosophie, l’humanisme. C’est aussi une langue porteuse d’une culture littéraire et artistique. Le français a une valeur tout à fait spécifique ; c’est un vecteur de valeurs, de cultures. Et ce qui est aussi intéressant, c’est qu’on ne peut justement pas réduire le français à cela. Il est important de dire que le français est aussi une langue extrêmement présente et active dans le monde contemporain, et en particulier dans le domaine professionnel et dans l’innovation. Je pense par exemple aux ingénieurs français qui ont une formation assez spécifique, large, variée et tournée vers la vision globale des problématiques. C’est une formation très appréciée dans tous les pays du monde.

Le français, c’est aussi une langue de l’insertion professionnelle qui offre de nombreuses possibilités de débouchés. Et comment ne pas rappeler le fait que le français n’est pas uniquement la langue de la France et qu’il est présent sur tous les continents ? Dans les 30 prochaines années, le français gagnera encore plus de poids démographique, il est en pleine croissance et donc utile pour aborder le monde dans toute sa complexité.

Par quels moyens les services de l’Ambassade de France comptent-ils poursuivre et développer la promotion du français en Norvège, particulièrement auprès des établissements scolaires ?

D’abord en répétant justement que le français n’est pas uniquement langue de culture, mais qu’il est aussi une véritable voie d’accès vers tous les continents et donc un atout indispensable, ne serait-ce que pour se différencier un peu de la concurrence internationale existante. Il me semble qu’au-delà de l’anglais, le français est la langue qui a le plus de résonance dans le domaine professionnel, et qui offre le plus de perspectives globales dans une grande multiplicité de secteurs d’activités. Un autre point, il me semble, serait de parvenir à effacer l’idée trop répandue, et basée sur peu de choses rationnelles, disant que le français est une langue “difficile”. Le français n’est pas plus difficile, je crois, que la plupart des autres langues. On peut apprendre à parler français, ou du moins à tenir une conversation, relativement rapidement. Ensuite, comme dans tout apprentissage, oui, il faut de l’entraînement, de l’assiduité et de la volonté, mais je pense que cela vaut pour bon nombre d’activités, y compris, par exemple, le sport.

Que diriez-vous à un élève hésitant, dans son choix de langue étrangère en milieu scolaire, entre l’espagnol, l’allemand et le français ?

D’abord, je ne me place pas dans ce qui serait une “guerre des langues”, je respecte tout à fait toutes les autres langues et je crois au multilinguisme. Simplement, en comparant les chiffres, il est important de rappeler, en se basant sur les chiffres de l’OIF, que le français sera parlé par 715 millions de personnes en 2050. En termes d’insertion, d’accès aux cultures du monde ou de carrière, c’est donc une langue extrêmement rentable et intéressante.

La perspective de découvrir des cultures de pays très différents doit aussi, je crois, faire rêver beaucoup de monde : pensons aux richesses de la France bien sûr, mais aussi à celles de la Belgique, de la Suisse, du Canada, de certaines îles de la mer des Caraïbes, des régions d’Asie ou d’une grande partie du continent africain : c’est tout un univers qui s’offre à vous. Le français n’est pas qu’une langue, c’est un univers.

Les liens culturels entre la Norvège et la France, notamment à travers le tourisme, peuvent-ils contribuer à l’attractivité du français en Norvège ?

En tout cas, les échanges se portent bien entre la Norvège et la France. Je pense, pour prendre un exemple concret et récent, à la ligne aérienne opérée par Air France entre Paris et Tromsø, ligne qui vient d’être inaugurée et qui offre un nouveau pont – encore un ! – entre nos deux pays. La France, c’est non seulement Paris qui reste la capitale du monde la plus visitée, mais c’est aussi, par exemple, toute la beauté du sud de la France, les montagnes, la côte atlantique, toute une variété de paysages que les Norvégiens apprécient tant. Et réciproquement, nous travaillons aussi beaucoup à l’attractivité de la
Norvège pour les Français. Il y a en France une soif de découverte de nouvelles cultures, de paysages.
L’attention à la préservation de la planète et de sa nature augmente par ailleurs, et la Norvège joue ici un rôle particulier, avec une grande variété et des reliefs si différents de ce que l’on voit dans le sud de l’Europe.

Avez-vous un message particulier à faire passer aux professeurs de français en Norvège ?

L’éducation a toujours été ma famille et j’ai le plus grand respect et la plus grande admiration pour le travail des professeurs, c’est d’ailleurs pour cela que je suis toujours disponible pour les écouter et les rencontrer. Ce qui m’importe, c’est de leur apporter l’assurance absolue du soutien de l’ambassade de France en Norvège, ainsi que notre reconnaissance pour le travail qu’ils font.

C’est un travail très exigeant, qui demande beaucoup et souvent les élèves et les familles ne se rendent pas compte de la charge qui pèse sur les professeurs dans le quotidien de leur mission. Notre rôle, à l’Institut français et l’ambassade de France, c’est de les soulager le plus possible, de les aider dans cette tâche. C’est pourquoi nous essayons d’être à leur écoute pour leur apporter des outils pédagogiques intéressants et aptes à faciliter leur quotidien. C’est aussi pourquoi nous voulons les soutenir en leur proposant des stages de formation qui sont à la fois l’occasion d’échanger entre eux et de répondre à leurs attentes. Je crois que trop longtemps, le métier d’enseignant a été un travail solitaire. Moi-même,
j’ai connu cette situation à mes débuts. À mon avis, cette époque est révolue et c’est en partageant davantage, en réfléchissant collectivement que l’on se rend compte du fait que l’on n’est pas seul et que l’on peut plus facilement trouver des réponses à nos questionnements. Notre rôle est de faciliter tout cela, et je m’engage à ce que nous soyons toujours présents pour les professeurs de français en Norvège.

*Entretien réalisé par Gilles Vogt pour Fransklærerforeningen, le 17 janvier 2023.

Le bureau de l’Association remercie également Mme l’Ambassadrice pour sa présence et son soutien lors de l’ouverture de notre Assemblée générale annuelle, le 10 février 2023.

Liens utiles :

Site de l’Ambassade de France

Site de l’Institut français de Norvège.